Dans la catégorie des débats qui divisent le monde Anglo-saxon de l’approche Méditerranéenne, le squat fait figure de référence depuis plus de 30 ans. Alors entre le Commonwealth cul par terre et les Latins les fesses en l’air où est la vérité ?
Clairement, deux écoles s’affrontent. D’une part, les conservateurs : préparateurs physiques issus des sports de force, qui appliquent la maxime à la lettre “si tu ne fais pas de squats, tu ne fais pas de musculation”. De l’autre les prudents, éveillés aux méthodes de préparation physique alternatives, et qui préfèrent limiter la part des squats (et surtout des squats complets) dans la préparation.
Seulement comme toujours, nous sommes à la merci de paradigmes, pour ne pas dire parfois de lobbies, qui prennent en otage notre libre arbitre. Ce sont comme souvent les extrêmes, par le biais de communications sensationnelles, qui développent une approche binaire du monde sportif, obligeant les gens à choisir un camp, à se ranger derrière une idéologie.
Mais comment discriminer le vrai du faux ? Entre le pseudo préparateur physique qui a érigé les squats en ennemi public numéro 1 - surtout parce qu’il n’en maitrise pas la technique (et oui, il est plus simple de faire des flexions de jambes à la presse et au TRX et de stigmatiser les squats plutôt que de les apprendre), et les haltérophiles purs qui ne jurent que par cela (la préparation physique ne se limite certainement pas à quelques mouvements), existe-t-il une approche objective ?
Pour y voir plus clair, je vous propose de nous pencher sur les recherches récentes sur le sujet.
Le premier point de discorde concerne comme souvent la terminologie utilisée. On oppose pour simplifier le demi-squat au squat complet. Mais en réalité, la discussion approfondie révèle souvent que le squat complet est opposé aux autres squats. Pire, on se rend compte sur le terrain que la plupart des coaches prônant le demi-squat font en fait… un quart de squat. Pour résumer, dans la théorie s’affrontent donc demi-squats et squats profonds, mais dans la pratique il s’agit de 1/4 de squats contre squats complets. Or le squat est un mouvement continu qui peut se pratiquer sur des angles très variés. Pour s’assurer que nous parlons le même langage, je vous propose une classification des différents squats et une définition ne laissant pas de place à l’interprétation.
Ces quatre différents types de squats n’impliquent pas les mêmes sollicitations ni adaptations, et bien les différentier permettra ultérieurement d’éclaircir le débat.
Le squat, quelle que soit sa forme, recrute plus de 250 muscles, prioritairement les quadriceps (vaste latéral, droit de la cuisse, vaste intermédiaire et vaste médial), les fessiers (petit, moyen et grand, fascia-lata et son tenseur), ainsi que les muscles spinaux. Dans un rôle fixateur et stabilisateur les ischio-jambiers (demi-tendineux, demi-membraneux, biceps fémoral) et les autres muscles de la jambe (jumeaux, soléaire, tibial antérieur, extenseur des orteils, court et long fibulaires, gastrocnémien) interviennent également. N’oublions pas le rôle central du gainage dorso-lombaire et de la sangle abdominale.
Que l’on aborde le problème du squat par la sécurité ou par la performance, l’amplitude est au cœur du débat. La véritable question est d’ailleurs souvent plus “où arrêter la flexion” que “combien mettre sur la barre”.
Dans ce cas, une première observation anatomique s’impose : le corps humain est conçu (et même optimisé) pour se mettre accroupi. En flexion complète. Des civilisations entières adoptent même cette flexion profonde comme position de repos.
Soyons clair : sur un genou, une cheville, et une hanche sains, il n’y a aucune contre-indication à réaliser une flexion complète. Salem et Powers, en 2001, nous confirment d’ailleurs l’absence de différence de stress sur le genou entre le squat complet, le 1/2 squat et le 1/4 de squat.
La problématique se complexifie lorsque la charge verticale extérieure (et même intérieure dans le cas de prise de poids corporel) augmente. Dans ce cas, deux problèmes peuvent se poser et doivent être surveillés :
La pression verticale exercée par la charge sur la colonne vertébrale et notamment sur les disques intervertébraux. Le corps humain est conçu pour descendre en position accroupie, mais pas nécessairement en mobilisant trois fois son poids de corps. Si la charge maximale fait partie des étapes à franchir pour progresser, d’autres méthodes existent pour intensifier le travail, sans forcement mettre systématiquement une charge déraisonnable sur la barre. J’y reviendrai.
La position du bassin, qui sous un angle variable individuellement, bascule irrémédiablement en rétroversion, provoquant une flexion arrondie de l’ensemble de la colonne vertébrale. Dans le cadre de la préparation physique préventive, cette situation est inacceptable et ne devrait donc jamais survenir. Tant que la lordose naturelle lombaire est maintenue, et que les genoux suivent la direction des orteils, la flexion profonde n’est pas un problème. La question du squat profond à bannir est donc un faux problème. La véritable limite de flexion est variable individuellement, et déterminée par le moment où le sportif ne parviens plus à contrôler ses hanches et la trajectoire de ses genoux.
En marge de ces considérations sémantiques et anatomiques, qui éclairent d’emblée le débat, se sont constituées des croyances collectives, autour d’une profondeur de squat de plus en plus dangereuse à mesure qu’elle augmente.
Il est difficile de savoir où tout à commencer. Peut-être avec le légendaire (car introuvable) article de Bosco rejetant les flexions de jambes de plus de 90°. Des générations entières d’étudiants, dont la mienne, grandirent dans l’ombre de cet article chimérique.
Ou peut-être était-ce lorsque certains kinés, trop prudents, ou pas suffisamment experts en squats, ont joué les apprentis préparateurs physiques et jugé bon de remplacer les barres par des ballons Suisses.
Certaines études sont en tout cas venues entretenir le mythe, comme celle menée par Fry et collaborateurs, en 2003, qui, bien que partisane des squats complet, pointe une tension croissante dans les genoux lorsqu’ils sont contraints de ne pas dépasser les orteils. Cette étude fait pourtant fi de l’impossibilité de conserver la trajectoire des genoux dans le cadre fixé par la direction des orteils, et surtout de conserver la lordose lombaire, tout en restant debout.
Le dernier lieu commun, et non des moindres, concerne le demi-squat. Ce dernier serait, dans l’imaginaire collectif, systématiquement moins dangereux que les squats profonds. Pourtant, moins on descend, et plus il est possible de charger la barre. Progresser en demi-squat revient ainsi ni plus ni moins qu’à déshabiller Jacques pour habiller Jean : ce que l’on économise en sollicitation du genou est transféré en pression verticale sur la colonne vertébrale… pour un résultat pas forcément supérieur. En effet, Bryanton et collaborateurs, fin 2012, établissaient que les progrès en squats seraient d’avantage liés à l’amplitude qu’à la charge.
Le demi-squat reste toutefois d’une redoutable efficacité. Tout d’abord, et comme la rappelé Zatsiorsky toute sa carrière et plus récemment dans son ouvrage Science and Practice Of Strength Training, peu d’activités physiques sont réalisées en amplitude totale.
Ensuite, les gains de force sont optimisés à l’angle de travail. Ainsi, des transferts spécifiques sont à attendre sur les premiers degrés de flexion de jambe (bien que de plus en plus d’études montrent des gains sur l’ensemble du mouvement) même si le travail se limite à une amplitude partielle (Massey et Coll., 2005). Enfin l’utilisation de charges extrêmes, en diminuant l’inhibition neurale semblerait, selon Wilson en 1994, augmenter les gains en demi-squat (ce dernier argument se heurtant toutefois aux risques induis par une charge plus élevée sur la colonne vertébrale).
Il apparait donc évident que le travail en squat partiel doive conserver une place importante dans le programme d’entraînement, mais pas exclusive.
L’étude de Bryanton en 2012 n’a pas seulement démontré que les squats profonds augmentaient significativement le recrutement musculaire par rapport aux squats partiels. Elle montre que les quadriceps sont particulièrement sensibles à la profondeur, et que les fessiers et ischios sont encore plus activés lors de l’emploi de charges lourdes. Elle précise ainsi que les effets sur la détente verticale se feront d’autant plus ressentir que le travail de squat sera profond, et lourd. Bien sur le rôle de l’activation de la chaine postérieure lors de squats profonds, et à fortiori lourds, n’est pas étranger à cet effet plus important des squats complets sur la détente et l’explosivité des membres inférieurs.
Le squat, complet ou incomplet, est un exercice très technique, où la sécurité, mais aussi l’efficacité passent en premier lieu par une technique irréprochable. Manquer de rigueur technique, c’est exposer le sportif à l’absence de progrès, voire à la blessure, et conduira presque systématiquement à l’échec de tout ou partie du programme d’entraînement. Voici pour rappel, l’ensemble des principes fondamentaux qui président au squat efficace, extraits de mon ouvrage La préparation physique moderne.
Travailler dur en squat, ce n’est pas forcément travailler lourd. Ainsi, se focaliser sur le positionnement technique précis intensifiera instantanément le travail du non expert. Une fois que l’athlète progresse, il est aussi possible d’utiliser la notion de temps sous tension, mesuré par le tempo imposé au mouvement. Le fait de mesurer le temps consacré à chacune des phases du squat est un moyen très efficace pour augmenter l’impact d’une série sans augmenter le poids. Pour en savoir plus sur le sujet, je vous invite à lire l’excellent ouvrage d’Olivier Bolliet sur la question “Approche Anglosaxone du développement de la force” aux éditons 4trainer.
Considérez qu’il y a quatre “temps” dans le mouvement de squat, tous mesurables en secondes. 1 temps debout jambes tendues, 1 temps de flexion de jambes, 1 temps accroupi (à une hauteur variable selon le type de squat), et un dernier temps d’extension de jambes. Selon le temps en secondes que vous passez dans chacune de ces phases, un même poids sur la barre ne représentera pas du tout la même charge de travail. Pour vous en convaincre, il suffit d’essayer un squat parallèle sans tempo, puis sans modifier le poids sur la barre de reproduire cet exercice, cette fois en prenant 3 secondes dans la descentes, et 1 seconde en position parallèle. Vous aurez peut être envie de revoir le nombre de répétitions à la baisse.
La complexité et la variété des APS ne laisse plus de places aux généralités, et donc encore moins aux généralistes. Le concept de Préparation Physique Générale ayant de moins en moins court dans l’entraînement moderne, il n’y a pas de réponse unique à cette question.
Quelles sont les amplitudes de flexions, les besoins en explosivité des membres inférieurs, l’importance des appuis, sont quelques unes des questions qu’il faut se poser pour espérer transférer les gains du travail de squat en le programmant le plus pertinemment possible.
Ce n’est que la connaissance experte de la discipline qui permettra de déterminer le ratio optimal et spécifique entre les différents angles de travail en squat. Retenez toutefois qu’il vaut mieux débuter par le squat complet la préparation (mouvement complexe sollicitant des adaptations profondes notamment posturales), pour le simplifier à mesure que les charges augmentent (en poids comme en vitesse).
Ces deux exercices, si similaires en apparence, n’induisent en fait pas tout à fait les mêmes sollicitations. L’analyse précise électromyographique des différents angles de travail en squat, comme celle menée en 1994 par Signorile, ou encore la mesure des efforts musculaires analysée par Bryanton en 2012 nous apportent des éléments précis quant aux différentes structures sollicitées par les différents types de squats.
Retenez les éléments suivants :
Comme souvent dans les choix qui se posent à l’entraîneur, une grande partie de la réponse se trouve dans les fondamentaux de l’entraînement.
Cette fois, ce sont Drinkwater et coll en 2012 qui nous renvoient au principe d’alternance, explorant les différences entre les effets d’un entrainement lourd (5 reps à 83%) ou léger (10 reps à 67%), en squat partiel ou profond. Cette fois-ci l’analyse repose sur les différents paramètres de force.
Voici ce qu’il faut en retenir :
Charge lourde, flexion profonde | Charge légère, flexion profonde | Charge lourde, flexion incomplète | Charge légère, flexion incomplète | |
---|---|---|---|---|
Puissance | + | ++ | +++ | - |
Force | ++ | +++ | +++ | - |
Pic de vitesse | ++ | +++ | - | + |
Travail | +++ | - | + | ++ |
A la lumière de ces adaptations après un an d’entraînement, il apparait évident que si l’on cherche à impacter l’ensemble de ces paramètres, varier le type de squat est une nécessité.
Reste que, malgré tous ces effets potentiellement producteurs de performances voire préventifs, les détracteurs historiques des squats non pas forcément totalement tort. Sous couvert d’efficacité, certains coaches pourraient être tentés d’oublier l’infinie prudence dont ils doivent faire preuve.
Tout d’abord, l’âge du public est un élément à considérer prioritairement. Le public jeune, doit être éduqué à la performance, et non produire de la performance. Le travail du squat chez les jeunes n’est pas proscrit bien sur, il est technique.
Enfin l’approche lourde du squat, qu’il soit profond ou incomplet, ne saurait se faire avant d’avoir atteint un niveau de gainage et de force des membres inférieurs (et supérieurs) suffisant. Ainsi, le plus sage lors de cette période de démarrage, est de construire les fondations solides pour la pratique saine et efficace du squat durant de nombreuses années. Le pratiquant devra passer par un filtre technique parallèlement au renforcement analytique et méthodique de l’ensemble du corps.
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